[CRITIQUE] Jeeg Robot – Gabriele Mainetti [A-]

jeeg-robot-1.jpg
Synopsis:
Poursuivi par la police dans les rues de Rome, Enzo plonge dans les eaux du Tibre et entre en contact avec une substance radioactive qui le contamine. Il réalise bientôt qu’il possède des pouvoirs surnaturels : une force et une capacité de régénération surhumaines qu’il décide de mettre au service de ses activités criminelles.
Du moins jusqu’à ce qu’il rencontre Alessia, une jeune fille fragile et perturbée qu’il sauve des griffes de Fabio, dit « le Gitan » un mafieux psychopathe ultra violent qui travaille avec la Camorra.
Témoin des pouvoirs d’Enzo, Alessia est persuadée qu’il est l’incarnation de Jeeg Robot, héro du manga japonais présent sur Terre pour sauver le monde.
Mais Enzo va être forcé d’affronter « Le Gitan » qui veut savoir d’où vient cette force surhumaine. Parviendra t-il à sauver la ville de la folie meurtrière de Fabio et être le super héros qu’Alessia voit en lui ?
L’expérience de la romcom niaiseuse, réalisée par un spécialiste du genre, qui mute en thriller sadique ne nous ayant pas encore découragé (Hime Anole ce douloureux souvenir) de nous risquer à découvrir des objets filmiques non identifiés, place au film de super héros made in italia avec Jeeg Robot.
media.jpg

Si le garcon invisible, sorti en 2015, a  montré qu’il pouvait y avoir de la place pour ce genre dans un cinéma italien, par ailleurs dans un creux créatif dont il peine à sortir; Jeeg Robot était un des grands mystères de ce festival.

Evacuons tout de suite une comparaison lue et entendue et qui pourrait, à raison, vous faire fuir alors qu’elle  n’a pas lieu d’être et se limite uniquement à l’origine des pouvoirs du super héros: Jeeg Robot n’est pas le Toxic Avenger italien et n’est donc pas une serie z, ni même une parodie du genre.

toxic_avenger.jpg

C’est un vrai film de super héros qui suit finalement une trame assez classique mais dans un cadre complètement original et avec un personnage principal lui aussi très étonnant. Si comme Melvin, Enzo acquiert donc ses pouvoirs en tombant dans un fût de produits toxiques, ce n’est pas en tentant d’échapper aux brimades que veulent lui infliger les  clients de son club de gym mais aux balles de la police, lancée à ses trousses dans les rues de Rome.  Enzo est un petit délinquant sans envergure dont la vie va être bouleversée lorsqu’il va commencer à prendre conscience de ses supers pouvoirs. La quarantaine, il vit seul dans son petit appartement dans lequel sa principale occupation est de regarder ses DVD classés X en mangeant les danettes vanille qui remplissent son réfrigérateur.  Avoir casté Claudio Santamaria est la première excellente idée d’un film qui en déborde. La quarantaine, son charisme de type fatigué emporte immédiatement l’adhésion. Il est aussi crédible en délinquant loser qui se met dans des mauvais coups, qu’en super héros en phase de découverte et d’apprentissage de ses pouvoirs. On est peu  habitué à voir un super héros de cet âge et avec ce parcours. Cela ancre le récit dans une réalité à laquelle ce genre s’obstine malheureusement trop souvent à vouloir s’extraire. Gabriele Mainetti ne donne pas le sentiment d’avoir pensé Jeeg Robot comme un film de super héros autour duquel il aurait construit une histoire et introduit des personnages mais plutôt, d’être parti d’une trame de film policier /social sur des petits voyous (comme le cinéma italien en produit tant, dont dernièrement mauvaise graine) dans laquelle il aurait introduit les supers pouvoirs d’un des personnages comme un agent pathogène contaminant le récit et rebattant les cartes. De fait Jeeg Robot a plusieurs as dans son jeu et ne frustre pas lorsqu’il prend son temps pour installer son histoire, ses personnages, avant de rentrer dans le vif du sujet de ce que l’on attend d’un film de super héros.

On prend beaucoup de plaisir en découvrant cette galerie de personnages complètement allumés. A commencer par Fabio (Lucas Marinelli) petit caïd local, dont le QG est installé au dessus d’un chenil et qui est à la tête d’une bande de bras cassés. Luca Marinelli a trouvé là le rôle de sa vie et enfin un cadre idéal pour exprimer son talent parfois parasité par une énergie mal contrôlée. La barque est bien chargée entre ses pétages de plomb, sa fragilité, son goût gênant pour le travestissement, le karaoké et les chansons mièvres, son toc de nettoyage des mains, mais il livre une interprétation hallucinante à la limite du cartoon, sans jamais perdre le contrôle.  Lorsque Sergio, l’un de ses hommes de main disparaîtra avec la cargaison de cocaïne qu’il devait récupérer, Fabio se lancera à sa recherche et retrouvera alors sa fille, Alessia, autre personnage complètement barré mais « sous contrôle » grâce à la qualité de son écriture et de l’interprétation d’Ilenia Pastorelli. Bloquée à l’âge mental d’une enfant de 8 ans suite à une série de traumatismes, sur lequels le film lèvera progressivement le voile, elle est fascinée par un manga japonais dont elle se repasse le DVD en boucle: le fameux Jeeg Robot.

jeeg.jpg

Il faut avouer qu’on a pu craindre d’être rapidement lassé par ce personnage qui confond la réalité et l’univers de son manga préféré et se tape la tête contre les murs si on lui interrompt un épisode. Là aussi, la barque est très chargée mais Gabriele Mainetti maîtrise parfaitement le tempo de son film, n’allant jamais trop loin ou trop longtemps dans l’outrance, jonglant de façon virtuose entre le côté cartoon de son récit et de ses personnages et son aspect beaucoup plus réaliste. De même le caractère posé, presque taciturne d’Enzo contrebalance la folie d’Alessia qui découvrant ses pouvoirs, en même temps que lui, l’appellera Hiroshi Shiba comme le héros de Jeeg Robot.

Comme tout super héros en apprentissage, Enzo va d’abord se laisser griser par ses supers pouvoirs et la première utilisation qu’il en fait donne lieu à une scène vraiment formidable , complètement cohérente avec son caractère et merveilleusement graphique. Le profit qu’il en retire nous a quant à lui beaucoup fait rire. Devenu célèbre, sous le surnom de « Super criminel », la vidéo de son exploit ayant fuité sur youtube, le rapport de force qui présidera à la suite du récit peut alors se mettre en place. Fabio sera son Lex Luthor (avec la cruauté d’un Ramsay Bolton) , cherchant à tout prix à le retrouver et à comprendre l’origine de ses pouvoirs et Alessia sera bien évidemment, sa Lois Lane. A la différence près qu’Enzo n’a aucune velléité humaniste, reste fidèle et c’est heureux, au personnage décrit dans le prologue et aspire juste à tirer de ses supers pouvoirs un profit personnel pour vivre tranquillement ses 2 passions: le porno et les danettes vanilles.

La folie mégalomaniaque de Fabio est elle aussi, relativement limitée, il n’est pas question de prise de contrôle du monde grâce à une armée de sbires ayant les mêmes pouvoirs qu’Enzo. Leur confrontation et les enjeux du film reste dans cette veine réaliste voulue depuis le départ. Cette cohérence et ce parti pris sont d’une efficacité redoutable à tel point, par exemple, qu’une scène de sauvetage, comme on en a vu et revu dans tous les films de super héros prend ici une ampleur émotionnelle totalement inattendue. Réaliste ne veut pas dire cheap et la mise en scène de Mainetti a ce qu’il faut d’inventivité, d’ampleur et de générosité pour satisfaire les amoureux du genre. On pense évidemment plus au cinéma asiatique qu’aux Marvel ou DC Comics mais on est aussi dans une approche similaire à celle d’un film culte comme le Darkman de Sam Raimi, auquel personne ne ferait le reproche de paraître cheap. C’est un autre traitement du mythe du super héros, une autre forme de spectacle mais pas moins généreuse et enthousiasmante. En grattant ou peut être en extrapolant, vous vous ferez votre opinion, on peut même trouver quelques  clins d’oeil à Orange Mécanique ou Phantom of The Paradise. Si on était déjà aux anges pendant 1h30, la dernière demie heure et la confrontation finale tant attendue entre le super héros et son nemesis nous a procuré un plaisir immense.

Jeeg Robot a ainsi parfaitement respecté le cahier des charges du film de super héros mais avec une telle valeur ajoutée, une telle dimension humaine (que l’on pensait être devenue incompatible avec le genre), que dès la séance terminée, il est venu se ranger sur l’étagère de nos films cultes.

Laisser un commentaire